Le 27 octobre 2024 restera gravé dans les annales de l’alpinisme himalayen. Après plus d’un demi-siècle d’oubli, le Lamjung Himal, culminant à 6 985 mètres d’altitude, a enfin revu des alpinistes fouler son sommet. Cette montagne népalaise, nichée dans la région de Manaslu, était restée vierge de toute ascension depuis 1974, année de sa première et unique conquête. La nouvelle ascension réalisée par une équipe de guides népalais marque un tournant historique pour ce géant oublié de l’Himalaya 🏔️
Cette expédition n’est pas qu’un simple exploit sportif. Elle symbolise la renaissance d’un sommet mythique qui avait été délaissé par les alpinistes internationaux au profit de ses voisins plus célèbres comme le Manaslu ou l’Annapurna. Le Lamjung Himal, malgré son altitude impressionnante et ses difficultés techniques, était tombé dans une forme d’anonymat. Les raisons de cet abandon prolongé sont multiples : conditions météorologiques particulièrement capricieuses, difficultés d’accès, manque de popularité auprès des expéditions commerciales, et surtout l’absence d’informations récentes sur les voies d’ascension.
L’équipe de fixation composée de Sujal Gurung, guide principal, accompagné de Sandip Gurung, Buddha Bdr Gurung et Furba Tenjing Sherpa, a atteint le sommet à 15 heures précises. Ces quatre alpinistes népalais ont non seulement réussi l’ascension, mais ont également installé les cordes fixes indispensables pour permettre aux futures cordées de suivre leurs traces en toute sécurité. Leur travail minutieux dans des conditions extrêmes témoigne du professionnalisme et de l’expérience accumulée par les guides himalayens au fil des décennies.
Un contexte historique fascinant
La première ascension du Lamjung Himal remonte à l’année 1974, une époque dorée pour l’exploration himalayenne où de nombreux sommets vierges attendaient encore leurs premiers conquérants. À cette période, l’alpinisme dans la chaîne himalayenne connaissait un essor considérable, porté par l’ouverture progressive du Népal aux expéditions étrangères. Les alpinistes du monde entier se ruaient vers ces montagnes légendaires, cherchant à laisser leur empreinte sur des sommets encore inviolés.
Pourtant, après cette première réussite en 1974, le Lamjung Himal est étrangement retombé dans l’oubli. Contrairement au Manaslu voisin qui attire chaque année des centaines d’alpinistes, ou au célèbre Annapurna qui fait rêver les grimpeurs du monde entier, ce sommet de près de 7 000 mètres n’a suscité aucune tentative sérieuse pendant plus de cinq décennies. Les archives alpines mentionnent quelques projets avortés dans les années 1980 et 1990, mais aucune expédition n’a réellement abouti jusqu’à cette année 2024.
Cette situation singulière s’explique par plusieurs facteurs convergents. D’abord, l’emplacement géographique du Lamjung Himal le place dans l’ombre du massif du Manaslu, beaucoup plus prisé et mieux équipé en infrastructures touristiques. Ensuite, les récits de la première ascension faisaient état de conditions particulièrement difficiles : parois glacées instables, risques d’avalanches élevés, fenêtres météorologiques très réduites. Ces éléments ont sans doute découragé les expéditions commerciales qui préfèrent se concentrer sur des sommets offrant un meilleur rapport sécurité-prestige.
Le réveil de ce géant endormi en 2024 illustre également une tendance récente dans l’alpinisme himalayen : la recherche de sommets moins fréquentés, offrant une expérience plus authentique loin des autoroutes de l’altitude. De plus en plus d’alpinistes chevronnés se détournent des itinéraires surpeuplés de l’Everest ou du Manaslu pour explorer des montagnes méconnues, où l’aventure retrouve son sens originel. Le Lamjung Himal incarne parfaitement cette philosophie du retour aux sources de l’alpinisme.
Les défis d’une expédition hors norme
L’ascension réussie le 27 octobre n’a rien eu d’une promenade de santé. L’équipe de guides a dû affronter des conditions météorologiques redoutables qui ont considérablement compliqué leur progression. Les chutes de neige intenses ont transformé les pentes en véritables pièges, rendant la progression extrêmement lente et dangereuse. À plusieurs reprises, l’équipe s’est retrouvée bloquée au Camp II, incapable de progresser ou même de redescendre en sécurité.
Ces retards successifs ont testé la patience et la détermination des alpinistes. Coincés sous leurs tentes à plus de 6 000 mètres d’altitude, exposés aux vents violents et aux températures glaciales, ils ont dû gérer leurs réserves de vivres et de gaz avec parcimonie. Chaque jour d’attente consumait leurs ressources précieuses, ajoutant une pression psychologique considérable à l’épreuve physique déjà intense. Dans ces conditions, nombreux sont les alpinistes qui auraient abandonné et seraient redescendus.

Guide Sujal Gurung
La cohésion de l’équipe s’est révélée déterminante pour surmonter ces obstacles. Sujal Gurung, le guide principal, possède une expérience considérable des expéditions himalayennes difficiles. Son leadership calme et réfléchi a permis de maintenir le moral des troupes dans les moments les plus critiques. Ses trois coéquipiers, tous guides expérimentés, ont fait preuve d’une solidarité exemplaire, partageant les tâches les plus pénibles et se relayant pour ouvrir la trace dans la neige profonde.
L’installation des cordes fixes représente un travail titanesque souvent méconnu du grand public. Il ne s’agit pas simplement de grimper jusqu’au sommet, mais de sécuriser chaque section dangereuse avec des cordes solidement ancrées dans la glace ou la roche. Ce travail de fourmi nécessite des compétences techniques pointues, une résistance physique exceptionnelle, et surtout une concentration absolue car la moindre erreur peut avoir des conséquences dramatiques. L’équipe a passé des heures à forer des trous dans la glace pour installer les pitons, à tendre les cordes avec précision, à vérifier minutieusement chaque ancrage 🧗♂️
Les difficultés techniques rencontrées sur le Lamjung Himal ne sont pas à sous-estimer. Après cinquante ans sans ascension, aucune information récente n’existait sur l’état de la montagne. Les itinéraires pouvaient avoir été modifiés par les mouvements des glaciers, des séracs pouvaient s’être formés, des passages autrefois praticables pouvaient être devenus impraticables. L’équipe avançait donc en terrain inconnu, devant constamment évaluer les risques et adapter son itinéraire en fonction des conditions réelles.
Les perspectives pour l’avenir
Cette réouverture du Lamjung Himal ouvre des perspectives prometteuses pour l’alpinisme népalais. Une seconde équipe d’alpinistes se prépare actuellement pour une tentative de sommet prévue entre le 3 et le 4 novembre 2024, selon l’évolution des conditions météorologiques et nivologiques. Cette deuxième ascension, si elle réussit, confirmera que le sommet est désormais accessible et pourrait encourager d’autres expéditions à tenter l’aventure dans les années à venir.
L’intérêt économique pour la région ne doit pas être négligé. Le tourisme d’altitude représente une source de revenus vitale pour les communautés locales népalaises, particulièrement dans les zones reculées comme celle du Lamjung Himal. L’ouverture d’un nouveau sommet aux expéditions peut générer des emplois pour les porteurs, les cuisiniers, les guides et toute l’infrastructure logistique nécessaire. Les villages de la région pourraient voir affluer de nouveaux visiteurs, créant une dynamique économique positive.

Toutefois, cette nouvelle popularité doit être gérée avec précaution pour éviter les dérives observées sur d’autres sommets himalayens. L’Everest et le Manaslu souffrent aujourd’hui d’une surfréquentation qui pose des problèmes environnementaux et sécuritaires majeurs. Les files d’attente interminables au sommet de l’Everest sont devenues tristement célèbres, transformant l’ascension en une expérience dégradée, loin du défi sportif originel. Le Lamjung Himal doit absolument éviter ce piège.
Les autorités népalaises responsables de la délivrance des permis d’expédition devront trouver un équilibre délicat. D’un côté, elles souhaitent légitimement maximiser les revenus générés par le tourisme d’altitude. De l’autre, elles ont la responsabilité de préserver l’intégrité de ces montagnes sacrées et d’assurer la sécurité des alpinistes. Un système de quotas raisonnables, comme celui mis en place sur certains sommets moins fréquentés, pourrait constituer une solution appropriée.
L’impact médiatique et symbolique
La reconquête du Lamjung Himal a généré un engouement considérable dans la communauté alpine internationale. Les réseaux sociaux ont rapidement relayé la nouvelle, suscitant des milliers de réactions enthousiastes de la part d’alpinistes professionnels et amateurs. Cette attention médiatique contraste fortement avec le relatif anonymat dans lequel vivait ce sommet depuis des décennies. Elle témoigne de l’appétit persistant du public pour les récits d’exploration et de dépassement de soi.
Pour le Népal, cette réussite revêt une dimension symbolique importante. Elle met en lumière l’expertise exceptionnelle des guides népalais, dont le savoir-faire est mondialement reconnu mais souvent relégué au second plan derrière les exploits des alpinistes occidentaux. Sujal Gurung et ses coéquipiers deviennent des figures héroïques nationales, incarnant la fierté d’un pays dont l’identité est intimement liée à ses montagnes majestueuses.
L’exploit rappelle également que malgré l’intense activité alpinistique dans l’Himalaya, certains sommets demeurent méconnus et sous-explorés. On estime qu’il reste encore plusieurs centaines de sommets vierges de plus de 6 000 mètres dans la chaîne himalayenne, attendant leurs premiers conquérants. Cette perspective enthousiasme une nouvelle génération d’alpinistes en quête d’aventures authentiques, loin des sentiers battus et des expéditions commerciales standardisées.
La couverture médiatique de l’événement bénéficie également aux sponsors et partenaires de l’expédition. Les marques d’équipement outdoor peuvent mettre en avant leurs produits testés dans les conditions les plus extrêmes, un argument marketing puissant. Les agences d’expédition népalaises voient leur réputation renforcée, attirant potentiellement de nouveaux clients intéressés par des destinations himalayennes moins fréquentées. L’écosystème économique de l’alpinisme himalayen se trouve ainsi revitalisé 💪
Les leçons d’un retour victorieux
Cette ascension historique du Lamjung Himal après 51 années d’absence nous enseigne plusieurs leçons précieuses. D’abord, elle démontre qu’avec de la détermination, de la préparation et une équipe soudée, même les objectifs les plus improbables restent à portée. Les difficultés rencontrées auraient pu décourager des alpinistes moins aguerris, mais l’équipe népalaise n’a jamais abandonné malgré les retards et les conditions difficiles.
Elle rappelle également l’importance du travail d’équipe dans les entreprises extrêmes. Aucun des quatre guides n’aurait pu réussir seul. Leur complémentarité, leur solidarité et leur capacité à prendre des décisions collectives ont été déterminantes. Dans un environnement où chaque erreur peut être fatale, la confiance mutuelle devient le ciment indispensable du succès. Cette dimension humaine de l’alpinisme, parfois éclipsée par la glorification des performances individuelles, mérite d’être soulignée.

L’événement illustre enfin la résilience de l’esprit d’exploration qui anime l’humanité depuis toujours. Malgré les progrès technologiques, malgré la cartographie satellite exhaustive de la planète, malgré la virtualisation croissante de nos expériences, le désir de conquérir physiquement des espaces difficiles demeure intact. Le Lamjung Himal, oublié pendant cinq décennies, retrouve sa place dans l’imaginaire collectif grâce à l’audace de quelques hommes déterminés.
Les prochaines semaines s’annoncent décisives avec la tentative de sommet de la seconde équipe d’alpinistes. Leur réussite ou leur échec influencera l’avenir du Lamjung Himal et pourrait déterminer si ce sommet devient une nouvelle destination prisée ou retombe dans l’anonymat. Quoi qu’il arrive, le 27 octobre 2024 restera une date mémorable, marquant la résurrection d’un géant himalayen trop longtemps endormi. Les alpinistes du monde entier suivront avec attention le récit complet de cette expédition exceptionnelle, dont la publication est attendue prochainement.
